Tu nais, Tuning, Tu meurs, Biennale Internationale de Design de Saint Étienne 2015, Musée d’art et d’industrie

Exposition dans le cadre de la Biennale Internationale de Design de Saint Étienne
Musée d’art et d’industrie de Saint-Étienne, du 12 mars au 15 juin 2015

Commissariat, scénographie et design graphique
Yan Alary, Léa Barbier, Timothée Deloire, Rodolphe Dogniaux, Julie Gayral, Adrien Houillère, Romain Le Liboux, Marc Monjou.

Conçue par le Post-diplôme Design et recherche de l’ESADSE, et en lien avec le n°42 de la revue Azimuts et d’autres événements (meetings, conférences, projections de films, ateliers), l’exposition Tu nais, tuning, tu meurs est donc à voir moins comme une exposition de tuning que comme l’exposition d’un design qui cherche à mettre en crise ses propres limites ; moins encore comme « une expo de bagnoles » – quoique les motifs issus de l’automobile y soient surreprésentés -, que comme un lieu où des objets d’art et de design jouent ou déjouent la scène du tuning, de manière plus ou moins distanciée.
Texte Marc Monjou

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  Une vision restreinte du tuning – significative et effective dans le sens commun – dessine les limites d’une contre-culture. Moins une contre-culture qu’un loisir naviguant dans les limbes et les vigoureuses images négatives liées à la fascination pour la machine, à l’amour de l’objet voiture, gage d’une virilité éprouvée. Souvent raillé et réduit au seul champ du loisir, le tuning est évoqué majoritairement par des superlatifs tels que « trop beauf », « trop moche », « trop kitsch ». L’ignorance de ses origines explique que la discipline soit définie avec dédain comme une communauté grégaire de jeunes gens marginaux. Peut-être est-ce par cet aspect communautariste que le tuning est taxé d’activité mignonne, étriquée, niaise ou encore misogyne au sein de laquelle de jeunes hommes revendiquent leur virilité à grands coups de basses et de moteurs rutilants.

Pourtant, sous son côté mauvais genre, se cache une richesse qui réside dans un acte de résistance, un désir d’exister par la création matérielle, un engagement, par des valeurs qui mettent en perspective de façon déconcertante et sans détours notre perception du monde actuel et notre relation aux objets. Sous ses airs de discipline oisive, légère et peu sérieuse, le tuning fait finalement acte d’une rébellion têtue via une certaine idée du déraisonnable. Le déraisonnable comme acte de résistance à la raison et à la soumission d’une économie, d’un schéma de consommation et d’individualités. Comme l’affirme Pierre Doze [5], il est à considérer que « le moment du déraisonnable est aussi celui où l’humain peut être formidable ».

La résistance est également matérialisée par l’exubérance et la puissance décorative de ces voitures devenant fétiches. Les greffes fibrées, les excroissances toute de laque vêtues constituent le réservoir d’une personnalité en construction, d’une singularité qui s’exprime au sein d’un collectif, d’un clan.
Pierre Doze rajoute  : «  Le tuning relève dans sa déraison de l’expression du désir, d’une projection (d’où l’allure de projectile, aussi), mais sa force vient d’abord de sa naissance dans le besoin. Et celui-là appartient à l’ordre des injonctions de la survie  ».
Pratiqué dans un milieu rural et souvent affecté par la désindustrialisation, le tuning est dans ce contexte un moyen pour les tuneurs d’exploiter leur temps libre selon un savoir-faire, une technicité valorisée par le travail manuel. Les tuners font preuve d’un farouche besoin de « faire soi-même » et de se réapproprier un savoir-faire par leurs mains par le biais d’actes de modifications, de détournements et de personnalisation. Dans leurs réalisations, ils opèrent une appropriation de l’objet standardisé pour en faire un objet unique, affranchi des moyens de productions et des standards de l’industrie automobile. Si le parallèle est visible avec les récents questionnements autour des nouveaux outils de production et ce que l’on appelle «  l’autoproduction  » dans le domaine du design, les tuners semblent pour autant opérer ces appropriations dans le but de s’affirmer et d’exister dans une expression créatrice, et non dans l’idée de penser une alternative à l’industrie automobile.

Cette «  expression du désir  », qu’exprime Pierre Doze, c’est cela qui pousse les pratiquants du tuning à imaginer et fabriquer l’objet de leur rêve, pur reflet de leur individualité aux yeux de leur communauté et du monde. Le motif est criard et les haut-parleurs gigantesques, une démesure à la taille de leur résistance à se faire oublier. Si la performance est une valeur que l’on prône volontiers aujourd’hui, le tuner la démontre seulement dans les attributs virils en tout genre de la voiture, car le temps et le soin qu’il apporte à une seule de ses réalisations est un travail de longue durée qui nous laisse à penser que le pratiquant du tuning possède de ce fait une réelle culture de l’objet.
Le tuning fait preuve d’une sincérité qui est à sauvegarder malgré la déterritorialisation qui découlera de l’exposition dans un musée. L’objet du tuner est à voir dans son entièreté, sans jamais oublier le contexte dans lequel il a été généré. Ce serait une erreur que de décontextualiser – et non déterritorialiser – l’objet de telle manière que sa raison d’être seraitt de façon radicale omise, voire de façon plus modérée effacée.

Il est ici question d’insister sur les richesses d’une pratique qui donnent un éclairage inattendu mais pas moins franc et direct sur le design, l’art et par extension tout ce qui relève de la culture matérielle. Nous pensons que cette pratique, dans le contexte économique actuel recèle un potentiel jamais exploité qui a beaucoup de choses à dire que ce soit sur le standard, l’objet, l’industrie, la performance, le désir, l’auteur, l’amateur, l’usage, l’ornement, le capotage, etc. De même, la monstration non hiérarchisée et non catégorisée de certaines pièces d’amateur et de pièces d’artistes, de designers ou de performeurs est une invitation à s’échapper d’un regard trop souvent condescendent et à comprendre un processus remarquable de création.

Texte Léa Barbier & Julie Gayral

 

[1]
Simon Davidson, série Burnout, 2012 .
Droits de l’image Georges Rivoire
[2]
Sam Durant, Rocking chair, 2003
Anonyme, Mercedes desk
Droits de l’image zapdesign.com
[3]
Maxime Berthou alias Mr Moo, Brouette tuning, 2007
Kevin Houley, vélos Ratsputin chopper, Dirty snake et Esther, 2011 à 2014
Alain Bublex, Aerofiat 4.1, 2002
Droits de l’image Rodolphe Dogniaux
[4]
Severija Inčirauskaitė-Kriaunevičien, Way of roses, 2008
Droits de l’image thetrendmix.com
[5]
Pierre Doze, Bolidage. MAGAZINE, automne 2010, numéro 1 volume 2, p. 108.